Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Virgile

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Henri Plon (p. 688-689).

Virgile. Les hommes qui réfléchissent s’étonnent encore de la légende des faits merveilleux de Virgile, tradition du moyen âge, que tous les vieux chroniqueurs ont ornée à l’envi, et qui nous présente comme un grand magicien celui qui ne fut qu’un grand poète. Est-ce à cause de l’admiration qu’il inspira ? Est-ce à cause de la quatrième églogue, qui route sur une prophétie de la naissance de Jésus-Christ ? N’est-ce pas pour l’aventure d’Aristée et les descriptions magiques du sixième livre de l’Énéide ? Des savants l’ont pensé. Mais Gervais de Tilbury, Vincent de Beauvais, le poëte Adenès, Alexandre Neeckam, Gratian du Pont, Gauthier de Metz et cent autres racontent de lui de prodigieuses aventures, qui semblent une page arrachée aux récits surprenants des Mille et une Nuits.

Il attrape le diable, après lui avoir escamoté tous les secrets de la magie, et cela à peine sorti des écoles. Il a appris qu’on a dépouillé sa mère de ses domaines ; il en fait enlever toutes les récoltes par des esprits qui sont à ses ordres, et il les fait apporter chez lui. Il se fait bâtir un château immense, où il a une armée de domestiques qui ne sont que des démons ; mais il les domine. L’empereur de Rome vient pour le prendre dans son château ; Virgile l’a entouré d’un brouillard où personne ne peut se reconnaître, et les soldats de l’empereur, sous l’empire d’une fascination prodigieuse, se croient les pieds dans l’eau.

L’empereur a ses magiciens, qui essayent vainement de lutter contre Virgile. Il rend tous ceux qui cherchent à l’investir immobiles comme des statues, et force l’empereur à capituler.

Devenu alors le favori de l’empereur, il lui fait des statués enchantées, au. moyen desquelles il sera informé de tout mouvement d’insurrection jusque dans les provinces les plus éloignées de Rome ; puis l’enchanteur opère d’autres merveilles. Il aime la ville de Naples ; il la protège donc contre les mouches qui l’infestent. Elles ne pourront plus y entrer, arrêtées par une grosse mouche d’airain qu’il a placée sur une des portes. Il construit pour l’empereur des bains merveilleux où toute maladie quelconque trouve sa guérison immédiate. Il délivre les eaux de Rome du fléau des sangsues, en plaçant dans un de ses puits une sangsue d’or dont il a fait un talisman. Il allume au milieu de Rome un fanal qui brûlera trois cents ans et qui éclairera la grande cité jusque, dans ses moindres carrefours.

Pourtant il paraît que ces merveilles ne sont pas l’œuvre du grand poëte, que c’est a tort qu’on les lui attribue ; que le vrai magicien Virgile était un chevalier des Ardennes, plus ancien que l’auteur de l’Enéide, et que son histoire excentrique a sa source dans un vieux roman chevaleresque du moyen âge[1].


  1. Voyez cette grande légende dans les Légendes infernales.