Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Idoles

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Henri Plon (p. 351-352).
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Idoles. L’idole est une image, une figure, une représentation d’un être imaginaire ou réel. Le culte d’adoration rendu à quelque idole s’appelle idolâtrie. — Si les idoles ont fait chez les payens des choses que l’on pouvait appeler prodiges, ces prodiges n’ont eu lieu que par le pouvoir des démons ou par le charlatanisme. Saint Grégoire le thaumaturge, se rendant à Néocésarée, fut surpris par la nuit et par une pluie violente qui l’obligea d’entrer dans un temple d’idoles, fameux dans la contrée à cause des oracles qui s’y rendaient. Il invoqua le nom de Jésus-Christ, fit le signe de la croix pour purifier le temple, et passa une partie de la nuit à chanter les louanges de Dieu, suivant son habitude. Après qu’il fut parti, le prêtre des idoles vint au temple, se disposant à faire les cérémonies de son culte. Les démons lui apparurent aussitôt, et lui dirent qu’ils ne pouvaient plus habiter ce lieu, depuis qu’un saint évêque y avait séjourné. Il promit bien des sacrifices pour les engager à tenir ferme sur leurs autels ; mais la puissance de Satan s’était éclipsée devant Grégoire. Le prêtre, furieux, poursuivit l’évêque de Néocésarée, et le menaça de le faire punir juridiquement s’il ne réparait le mal qu’il venait de causer. Grégoire, qui l’écoutait sans s’émouvoir, lui répondit : — Avec l’aide de Dieu, qui chasse les démons, ils pourront revenir s’il le permet. Il prit alors un papier sur lequel il écrivit : — Grégoire à Satan : Rentre. Le sacrificateur étonné porta ce billet dans son temple, fit ses sacrifices, et les démons y revinrent. Réfléchissant alors à la puissance de Grégoire, il retourna vers lui à la hâte, se fit instruire dans la religion chrétienne et, convaincu par un nouveau miracle du saint thaumaturge, il devint son disciple. — Porphyre avoue que les démons s’enfermaient dans les idoles pour recevoir le culte des gentils. « Parmi les idoles, dit-il, il y a des esprits impurs, trompeurs et malfaisants, qui veulent passer pour des dieux et se faire adorer par les hommes ; il faut les apaiser, de peur qu’ils ne nous nuisent. Les uns, gais et enjoués, se laissent gagner par des spectacles et des jeux ; l’humeur sombre des autres veut l’odeur de la graisse et se repaît des sacrifices sanglants. »

Ce qui est bien singulier, c’est qu’aujourd’hui il y a, à Birmingham, une fabrique d’idoles pour les payens de l’Inde et de la Chine. Voici un extrait de son curieux catalogue : — « Yamen, dieu de la mort, en cuivre fin, fabriqué avec beaucoup de goût. — Nirondi, roi des démons ; modèles très-variés. Le géant qu’il monte est du plus hardi dessin, et son sabre de modèle moderne. — Varonnin, dieu du soleil, plein de vie ; son crocodile est en airain et son fouet en argent. — Couberen, dieu des richesses ; ce dieu est d’un travail admirable ; le fabricant y a mis tout son art et tout son talent. On trouve des demi-dieux et des démons inférieurs de toute espèce. — On ne fait pas de crédit, escompte sur payement comptant. »

Mais, les Indiens respectent leurs stupides idoles, tandis que les payens de l’antiquité traitaient assez cavalièrement les leurs. Benjamin Binet, dans son Traité des dieux et des démons du paganisme, nous en fournit quelques exemples :

« On ne peut rien concevoir, dit-il, de plus indigne que la manière dont ils traitaient leurs idoles. Je ne parle point d’Ochus, roi des Perses, qui tua le bœuf Apis et le mangea avec ses amis (Plut., de Isid. et Osid.), parce que l’on pourrait demander si ce bœuf était ou un simple hiéroglyphe, ou le dieu même des Perses. Quoi qu’il en soit, c’était une extrême profanation de faire d’un animal si sacré un repas à ses amis. Denis, roi de Sicile, n’était pas plus favorablement prévenu en faveur des dieux de la Grèce et de leurs images. Comme il ne manquait pas d’esprit, il apostropha agréablement Jupiter Olympien pour s’approprier ses riches dépouilles ; « Je te plains, lui dit-il, d’être toujours chargé d’un habit d’or ; il t’est trop pesant en été, et trop léger en hiver ; prends plutôt cet habit de laine, qui te sera commode en l’une et l’autre saison (Arn., lib. vi, et Lact., lib. ii, cap. 4). » Ce fut ce même prince qui, ne pouvant souffrir qu’Escu-lape, fils d’Apollon, portât une barbe d’or longue et épaisse, pendant que son père paraissait comme un jeune homme sans barbe, la lui arracha, disant : « Que peut-on voir de plus malséant qu’Esculape, fils d’Apollon, ait le menton chargé d’une barbe philosophique, et qu’Apollon ne paraisse que comme un jouvenceau sans barbe (Arn. et Lact., ib.)? » Il poussa encore la profanation jusqu’à prendre des mains des idoles des coupes et des ornements d’or et d’argent, parce que, disait-il, il ne faut rien refuser de la main des dieux. Nous lisons aussi que Caligula outragea les dieux de la Grèce de la manière la plus cruelle : « car, dit Suétone, il commanda que l’on apportât de Grèce les images des dieux célèbres par leur culte et par leur art, entre lesquelles était celle de Jupiter Olympien, et il les fit décapiter pour y mettre sa tête (Suet., lib. iv, cap. 22). » Vous (lirez apparemment qu’il ne faut pas s’étonner que ces princes, qui étaient des tyrans, aient eu si peu de vénération pour les dieux ; qu’étant les oppresseurs de la liberté et de la religion, leur exemple ne prouve rien. Mais il est étrange que le sénat, les prêtres, les peuples ne se soient pas soulevés contre cette impiété. Vous les voyez tous se liguer contre la tyrannie de leurs rois et de leurs empereurs, les massacrer quand ils foulent aux pieds leurs privilèges ; ici au contraire ils demeurent tranquilles, lorsque l’on détruit leur religion, la chose du monde à laquelle les hommes sont le plus attachés. Mais choisissons un exemple décisif, c’est celui de César. Les armées navales de Sextus Pompée et les tempêtes ayant dissipé ses deux flottes, il s’écria : Je vaincrai, en dépit de Neptune ! et afin de montrer combien il méprisait les dieux, il jeta par terre l’image de ce dieu pendant la célébration des jeux circulaires où l’on portait en pompe les images des dieux pour les rendre témoins de cet honneur (Sueton., lib. ii, cap. 16). »